En quête de la recette idéale, le béton se met au vert
Du gris à perte de vue : matériau de construction de loin le plus fréquemment utilisé, le béton fait partie de notre quotidien. Au grand dam de l’environnement, car sa fabrication est gourmande en énergie et intensive en émissions, et la construction à base de ce matériau consomme de l’espace. La question d’un béton climatiquement neutre occupe donc les chercheurs du monde entier.
Le mouton de noir de la famille des ingrédients
Par souci d’équité, il faut bien reconnaître les avantages indéniables du béton. À peine mélangée, sa pâte grise peut être coulée, façonnée et moulée. Une fois séchée à l’air, elle devient dure comme de la pierre, est extrêmement résistante, ignifuge et presque indestructible. Sa polyvalence et sa disponibilité mondiale ont permis au béton de régner en maître et de devenir incontournable, avant tout dans son application en tant que matériau de construction.
Tout comme la farine dans la pâte à gâteau, le ciment sert de liant dans la recette du béton. La comparaison boulangère est très à propos. La fabrication du ciment demande de moudre du calcaire et de l’argile, puis de cuire ce mélange à 1450 °C dans un four rotatif. Appelé clinker, le granulat ainsi obtenu est ensuite retravaillé sous forme de poudre. Ce procédé, très énergivore, libère 700 kilos de CO2 pour chaque de tonne de ciment produite. Avec ce ratio de 1:0, 7, le ciment est moins polluant que l’acier et l’aluminium par exemple. Or, étant donné que la demande de béton est immense, il s’agit du matériau le plus utilisé actuellement. La production annuelle de ciment, qui s’élève à trois milliards de tonnes, représente 7 % des émissions mondiales de CO2. En Suisse, ce chiffre monte même à 9 %. À titre de comparaison, le trafic aérien mondial génère seulement un quart, voire un tiers, des émissions dues au ciment.
Un examen attentif des solutions de remplacement
La quête du Graal s’agissant du ciment se résume ainsi : satisfaire une demande élevée et croissante tout en réduisant les émissions qu’elle génère. L’équipe de chercheurs menée par Frank Winnefeld et Alexander German du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherches (EMPA), à Thoune, s’attelle à cette tâche et suit des pistes prometteuses. Diverses branches industrielles, par exemple, produisent des matières premières secondaires dont les propriétés leur permettent d’être mélangées au ciment. En d’autres termes, il s’agit de diluants qui n’affectent pas la qualité du ciment. Or ils sont rares, c’est bien là le hic, et la recherche s’apparente ici davantage à un travail de détective. Les fins limiers de l’EMPA ont par exemple repéré des cendres volantes issues de la combustion du charbon ainsi que des résidus de hauts fourneaux générés par la production de fonte, qui pourraient être utilisés. Le procédé métallurgique visant à récupérer les métaux précieux dans les déchets électroniques produit des scories de grande valeur qui, une fois réduites en poudre, peuvent également être mélangées au ciment, explique Winnefeld. Si ces substituts ne parviennent pour l’heure pas à résoudre entièrement le problème des émissions, ils constituent néanmoins une piste intéressante, vu le nombre de téléphones portables et d’ordinateurs usagés qui ne cesse d’augmenter. Ils constituent au moins un débouché compatible avec l’environnement pour la valorisation des déchets électroniques selon le principe de l’urban mining (exploitation des mines urbaines).
Le bilan négatif tant attendu
À l’EMPA, on se montre confiant. Et cette confiance permet de réaliser des objectifs ambitieux. En effet, les chercheurs visent la fabrication d’un béton dont le bilan CO2 serait non seulement neutre, voire négatif, par exemple en modifiant la composition du ciment de sorte à pouvoir se passer du processus de combustion. En effet, la réaction chimique souhaitée peut également être obtenue au moyen de l’ajout de solutions alcalines fortes, comme on le sait maintenant.
Une autre approche prometteuse consiste à lier le dioxyde de carbone dans le béton au lieu de le laisser s’échapper. Un béton au bilan CO2 négatif serait un atout indéniable, avance Winnefeld, le regard qui brille. Les deux scientifiques de l’EMPA, Frank Winnefeld et Alexander German, mènent en effet des recherches portant sur la fabrication d’un ciment à base de magnésium contenu dans l’olivine. Ce minéral, qui se trouve dans les profondeurs du manteau terrestre, peut toutefois être extrait dans les régions volcaniques, comme l’Islande. La fabrication de ciment à partir d’olivine présente un double avantage : elle requiert l’ajout de dioxyde de carbone et seule une partie de la matière doit être brûlée. Ainsi, elle stocke plus de CO2 qu’elle n’en libère. Un coffre-fort à gaz à effet de serre en quelque sorte.
Le marché est à la fois avide et exigeant
Si des substituts appropriés existent, ils sont loin de détrôner le ciment Portland classique. En effet, la révolution du béton adviendra uniquement lorsque le béton écologique pourra être produit dans les quantités demandées et offrira des prestations au moins équivalentes que sa version traditionnelle. D’ici là, il y a du pain sur la planche et de nombreux essais, tests et analyses doivent être menés. Il s’agit en effet d’optimiser les procédés industriels, car ils sont souvent bien trop onéreux, admet Winnefeld dans sa quête de la recette idéale. Néanmoins, la tendance en faveur de substituts climatiquement neutres se confirme.